La médiation dans le monde de la santé
Un contexte explosif : la santé en mutation, à l’heure du Covid
La crise actuelle, liée au Covid-19, intervient dans le contexte d’une mutation de la médecine, source d’une crise du monde de la santé. Double peine, donc !
Depuis deux décennies au moins, le monde de la santé est ébranlé. Les médecins sont en grève, les déserts médicaux se multiplient, des spécialités sont sinistrées : les urgences, la psychiatrie. L’accessibilité aux soins se détériore et les filières de soin sont désorganisées. 44 % des médecins ne prennent plus de nouveaux malades.
La place de la science et de la technologie (la médecine fondée sur la preuve et les protocoles) s’accroît légitimement. Parallèlement, le temps d’écoute du patient, dans son individualité et ses dimensions psycho-sociales, diminue. La prévention est négligée. Et l’offre de soins a pris le pas sur la réponse aux besoins des usagers. L’OMS a rétrogradé le système de santé français de la première à la seizième place. Pourtant, la France a un système de protection sociale envié.
La Covid n’a fait qu’accroître la crise du monde de la santé: double peine donc ou opportunité ! Les plaintes se multiplient, par les patients – mais aussi par des professionnels – insatisfaits, dans un climat de défiance et de catastrophisme.
Une part de lumière pourtant : l’engagement des réanimateurs et urgentistes, les vaccins disponibles en un an, mais aussi l’initiative d’Edouard Couty, médiateur national, de recruter et de former les médiateurs du système public de santé et celle de Claude Evin, ancien ministre de la santé, de promouvoir une loi introduisant la médiation dans les établissements médico-sociaux.
Que peut la médiation dans ce contexte ?
Elle est beaucoup plus souvent conventionnelle que judiciaire. Dans ce dernier cas, le juge a la possibilité d’inviter le plaignant à s’informer sur la médiation, sans l’y contraindre.
Le plus souvent, il s’agit d’un patient, d’une famille ou d’un professionnel qui se plaint auprès d’une institution – établissement de santé, commission hospitalière, Agence Régionale de Santé… – laquelle propose une médiation, qu’elle prend en charge financièrement.
Qui ?
Un patient vulnérable et /ou sa famille, parfois accompagnés d’un avocat, face à un médecin « qui sait » et à l’institution qui le protège. Martin Hirsch, directeur de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris a illustré cette vulnérabilité :
« Celui qui nous fait face est souvent intimidé, intériorisant spontanément un rapport d’infériorité… Parce qu’on sait faire des discours et que l’autre bafouille… Abolir cette relation de supériorité qui s’instaure naturellement. … »
Il peut s’agir aussi d’un conflit entre professionnels ou entre un ou des professionnels et la direction de l’établissement.
Quant au médiateur, il est tenu au secret et formé, venant ou non du milieu de la santé. Il doit être neutre, impartial et indépendant. Il doit déclarer un éventuel conflit d’intérêt, les parties étant juges sur ce plan.
Les médiateurs hospitaliers constituent un progrès. Mais ils ne sont pas tous formés. Le plus souvent, médecins de l’hôpital, conscients des aléas de l’exercice médical, ils peuvent être influencés par une indulgence compréhensible vis-à-vis de leur collègue, objet de plainte. Un médiateur extérieur à l’institution serait plus indépendant, en revanche moins facilement accepté par l’institution.
Le médiateur en santé doit-il être un professionnel de santé, médecin mais aussi non- médecin : infirmière, psychologue, responsable ou cadre d’établissement… ? Il a alors l’avantage de l’expérience du milieu, mais peut être en conflit d’intérêt. Avantages et inconvénients sont inverses pour un juriste, un administratif. La co-médiation s’avère souvent être une solution adaptée.
Quand ?
Le plus tôt possible, pour éviter l’enracinement du conflit et le procès ; une à deux séances, dans un délai de trois mois, renouvelables.
Malheureusement, le différend émergeant est souvent étouffé par l’omerta et le souci de « laver le linge sale en famille », pas toujours efficace. Il s’est donc aggravé au fil du temps, a conduit à des pliantes tous azimuts. Et la médiation intervient des mois ou des années plus tard. D’où l’intérêt de la médiation de prévention, sous la forme d’une régulation du différend, interne au service (voir ci-dessous).
Où ?
La médiation en santé se déroule le plus souvent à l’hôpital, dans un lieu loin des services de soin, accueillant et silencieux : café et viennoiseries favorisent l’entrée en matière.
Les conflits gagnent les établissements médico-sociaux, accueillant des personnes handicapées, ou âgées dans les EHPAD. La médiation réunit souvent la famille d’un résident, mécontente de l’établissement, représenté par son directeur, souvent accompagné de l’infirmière coordinatrice, plus rarement du médecin ou de la psychologue.
Pourquoi ?
La nature du différend varie en fonction des plaignants;
- Patient contre direction ou médecin : très majoritairement, il s’agit d’une information jugée insuffisante; erreur ou aléa thérapeutique, maltraitance ;
- Soignants contre direction: manque de moyens humains : recrutement et arrêts de travail, maladie ou handicap … et matériels ; manque de reconnaissance, d’autonomie et de participation ;
- Soignants contre hiérarchie (médecins et cadres): risques psycho-sociaux (voir paragraphe suivant) : harcèlement, discrimination, burn-out…lié au COVID ;
- Direction contre soignants: fautes professionnelles : pas de sanction si elle est avouée (ADEF-résidences, association d’établissements médico-sociaux) ;
- Entre soignants : affrontement de personnalités, valeurs, risque de dérive vers une relation bourreau / victime.
Comment se déroule la médiation ?
L’acceptation du règlement amiable d’un différend est un geste de bonne volonté, qui mérite d’être salué:“Je vous remercie d’avoir accepté d’essayer de régler votre différend, à l’amiable.”
Ensuite, le médiateur doit prendre le temps d’expliquer les règles de la médiation -, confidentialité et indépendance du médiateur, courtoisie et liberté des parties de quitter la médiation. Enfin, le médiateur doit rechercher en quoi la médiation est susceptible de permettre, dans la situation particulière, une solution construite par les médiés eux-mêmes, les mieux placés pour l’élaborer et… répondre à leurs questions.
Ce temps est si important qu’il m’a amené à y consacrer, de plus en plus souvent, une séance propre, avant tout engagement dans la médiation proprement dite et la signature de la convention correspondante.
Deux autres points sont aussi utiles, dans le contexte de stress, de difficultés d’expression liées à la maladie ou au handicap : les entretiens séparés préalables à la plénière et la co-médiation, associant un médecin et un autre professionnel de santé ou un juriste.
Le processus de médiation n’est pas différent de celui de la médiation en général. Ici, il prend souvent plus de temps, de pauses, de sessions, de reformulations.
L’expression des émotions reste un préalable encore plus nécessaire, ouverture à celle des besoins, avant, dans un second temps, la recherche rationnelle d’un accord par les parties elles-mêmes, facilité par le médiateur.
Il s’agit de passer de « l’objectivité » managériale, fondée sur les faits, les dossiers et la rationalité, à la subjectivité des parties, fondée sur leur ressenti.
Dans ce monde de la souffrance, la bienveillance, l’empathie, la patience, la longueur de temps, la maîtrise des préjugés et des émotions, sont des qualités particulièrement requises du médiateur.
Un fléau croissant: les risques psycho-sociaux
Ils touchent avant tout les professionnels et sont définis comme des « risques professionnels qui portent atteinte à l’intégrité physique et psychique des salariés ».
La souffrance au travail relève d’abord des conditions du travail : exigence de qualité, tempo frénétique, charge accrue ; tâches pénibles, dangereuses (aides-soignantes) ; conditions physiques, chimiques (amiante).
Mais elle relève au moins autant des relations au travail : harcèlement moral et sexuel, discrimination, vexations, sanctions ; instabilité et perte de sens du travail et de la fragilité du travailleur : maladie, handicap, solitude, contexte familial, social, économique.
Les symptômes sont physiques – douleurs, fatigue, troubles cardio-vasculaires et musculo- squelettiques (lombalgies) – et psychiques – dépression, stress post-traumatique, « burn-out », suicide. Les conséquences sont l’accident du travail, l’absentéisme, la « placardisation », la démission, le licenciement. Le code du travail, après 2010 a institué « l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur…puis de prévention et de moyens renforcés (Cour de Cassation) » …et mentionné la responsabilité éventuelle de l’employé.
L’essentiel est de considérer le risque psycho-social comme l’interface entre un environnement (travail et univers relationnel) et une personne, à travers son histoire, sa personnalité, son contexte familial, social, économique et sa santé.
Des neurosciences aux autres approches
L’apport récent des neurosciences éclaire le processus de médiation (voir dossier spécial sur le site)
Les sciences humaines et sociales sont une référence évidemment privilégiée :
- la psychologie, tout d’abord, à travers la neuropsychologie, la psychopathologie : attention aux pervers et aux paranoïaques, aux dépressifs, sources d’échecs de la médiation ! On peut s’étonner et regretter le petit nombre de psychologues et psychiatres médiateurs !
- la sociologie, à travers l’approche systémique. Elle est essentielle, en médiation en santé, car elle doit prendre en compte l’environnement du patient vulnérable et, en particulier, sa famille, mais aussi la complexité de l’organisation sanitaire et médico-sociale, les relations hôpital / médecine libérale, particulièrement dans les conflits interprofessionnels.
- la philosophie et, en particulier, l’éthique et la bioéthique, en cours de législation/
- le droit, car la loi doit être respectée par le médiateur.
- …et l’esthétique : « Je m’éveillerai quand le vent s’agenouillera et que les feuilles ne tinteront plus. » (E. Damon, 2016). Ce crépuscule provençal n’est-il pas une métaphore de la médiation et du point de bascule ?
Au-delà de la médiation
La médiation est un processus rapide, peu coûteux, souvent gagnant / gagnant, plutôt qu’un long procès. Sa réussite repose sur le volontariat et la responsabilité des parties dans l’élaboration d’un accord… et le long temps d’écoute. J’entends encore cette réflexion de la famille d’un patient : « Ah, si nous avions eu ce temps d’écoute, il y a 2 ans, nous n’en serions pas là ! »
Au-delà de la médiation, il peut être utile d’évaluer la pérennité de la reprise du dialogue et de l’accord, par exemple à l’occasion d’une nouvelle entrevue, quelques mois plus tard. Nous élaborons aussi un questionnaire d’évaluation de la satisfaction, à remplir par les médiés, qui peuvent l’assortir de commentaires.
La médiation a vocation à susciter la réorganisation des soins d’un patient, mais aussi des relations à l’intérieur d’un service, voire de remettre en question certaines procédures dont la bonne intention se heurte à une application irréalisable.
Surtout, portée par ceux qui en ont bénéficié – et au premier chef le médiateur, s’il participe à l’institution – l’esprit de médiation peut infuser. De courtes formations ou de simples réunions de service peuvent rendre les participants attentifs aux dysfonctionnements ou aux conflits qui émergent, de telle sorte qu’ils soient « pris à la racine » et non couverts par une omerta préjudiciable.
Hélas ! La médiation, telle que nous la pratiquons, survient souvent trop tard. C’est à ce point que je souhaite vous parler de médiation de prévention des conflits. Il s’agit de détecter l’émergence des conflits, en développant un dialogue rituel entre les différents corps de métiers, au sein des établissements et, plus largement, dans leur articulation avec la médecine libérale.
C’est donner une plus large participation, donc une plus large autonomie aux professionnels de santé non médecins. Il faudra aussi augmenter leurs salaires, à commencer par les aides-soignantes et des infirmières !
Ce temps consacré aux relations entre professionnels, comme entre ceux-ci et les patients, est souvent entravé par les protocoles, la technologie et la règlementation. Ce temps de l’empathie prend du temps : pas facile face à la frénésie digitale ! Et ce n’est pas un temps perdu, mais, comme le dit Proust, un temps retrouvé ! Apaiser demande à ralentir ! Ce développement des relations à l’intérieur d’un service ou d’un établissement, pourrait s’incarner dans un professionnel de santé, formé à la médiation. Il susciterait ainsi cohérence d’équipe, amélioration de la qualité des soins et confiance, un mot qui manque aussi aujourd’hui ! Il pourrait aussi restaurer l’effort de compréhension mutuelle entre les tenants de deux logiques : celles du soin et du management.
Conclusion
La médiation en santé est encore émergente. C’est une éthique de la souffrance, reposant plus que sur les dossiers et règlements, sur la subjectivité des plaignants, leur liberté d’accès à la médiation, mais aussi leur responsabilité dans la reprise du dialogue et la solution de leur différend et leur accompagnement dans la mise en oeuvre de l’accord.
Elle intervient souvent trop tard. La médiation de prévention est donc essentielle: elle repose sur une régulation des conflits, dès leur émergence au sein d’un service.
Le développement de la médiation en santé repose, avant tout, sur la formation.
La formation généraliste se développe rapidement : plus 40 % d’inscrits à la dernière rentrée de l’IFOMENE ! Mais la médiation en santé requiert un complément spécifique. EHESP et IFOMENE ont déjà formé 44 professionnels de santé – médecins, mais aussi infirmières, cades de santé, psychologues aux conflits interprofessionnels dans le service public de santé. Des formations, concernant également les usagers et le secteur libéral seront mises en œuvre à la fin de l’année 2021. Ces médiateurs formés sont les pionniers capables de diffuser l’intérêt de la médiation dans le monde de la santé.
Le GIMES et son site web permettent de diffuser les outils de médiation et de répondre aux demandes de médiation, comme d’autres organisations qui se développent dans l’hexagone et les pays francophones et les expériences étrangères.
Il est aussi important d’inscrire la médiation dans le règlement des établissements, de la promouvoir dans la loi, d’en approfondir la mise en oeuvre dans le code du travail et les comités d’éthique, d’évoluer vers un diplôme d’État. Il faut enfin sensibiliser le public, réticent, aux modes amiables de règlement des conflits. La médiation devrait aussi entrer dans les programmes universitaires, en particulier de psychologie et faire l’objet de recherches scientifiques pour en démontrer l’efficacité.
Références
Vous trouverez des références plus développées et classées dans le livre :
Truelle, L. Azoux-Bacrie, S. Meralli-Ballou Monnot, H. Cohen Solal : Médiation et santé, un nouveau droit de l’homme. Médias et Médiations, 2018
Agid : Le cerveau subconscient, Robert Laffont, 2013.
Bourry d’Antin, S. Bensimon : Art et techniques de la médiation, Litec, 2019
Blohorn-Brenneur : La médiation pour tous, Médias et Médiations, 2013
Bret : La médiation : un mode innovant de gestion des risques psycho-sociaux, Médias & Médiations, 2016.
Chatelain : Médiation ; comment développer son empathie ? Archétype 82, 2019L’émotion en médiation 2019
A.Damasio : L’ordre étrange des choses. La vie, les sentiments et la fabrique de la culture, Odile Jacob, 2018.
Delfraissy : L’organisation des soins in Rapport du Comité Consultatif National d’Ethique, 2018
Hirsch : Le soin, une valeur de la République. Ce que soigner signifie, Les Belles Lettres, 2016.
DWH Lee, PBS Lai: The practice of mediation to resolve clinical, bioethical, and medical malpractice disputes, Hong Kong Med. J., 2015 ; p. 21, 560-564.
Ong, P. Roscoe : Medical mediation : bringing everyone to the table, College of Surgeons (USA), 2017.
Auteur : Jean-Luc Truelle
Professeur honoraire de neurologie, ancien chef de service de l’hôpital Foch, expert honoraire à la Cour d’Appel de Versailles, médiateur et formateur en médiation et santé, ancien expert de l’OMS et attaché au CNRS.