La médiation à la lumière des neurosciences

 

Comme l’ordinateur, le cerveau ne bouge pas. Mais des millions d’informations sont transmises en permanence, par les synapses, les articulations qui relient les cellules cérébrales, les neurones. De cette manière, le cerveau est une ruche en mouvement.

Voyons comment les récents progrès des neurosciences peuvent éclairer le processus de médiation.

Dans cet apport des neurosciences, une nouvelle technologie, émergée depuis à peine vingt ans, tient une place essentielle : la résonnance magnétique fonctionnelle, c’est-à-dire ce moyen « radiologique » qui permet de voir les structures cérébrales fonctionner, quand le cerveau agit.

Attention ! La coïncidence temporelle entre un comportement et une image ne vaut pas relation de cause à effet. Plus le comportement est complexe, plus de multiples structures sont impliquées. Il ne s’agit que d’un éclairage : on verra qu’il se solidifie avec l’essor de la recherche et qu’il vérifie certaines intuitions.

L'émotion

«L’émotion précède l’action.»

Cette phrase, à l’allure prophétique dans sa brièveté, est d’Antonio Damasio, ce psychologue portugais, venu s’installer en Californie, pour y travailler dans le domaine des neurosciences.

Nietzsche en avait eu l’intuition : « sous chaque pensée, gît un affect. »

Le cerveau recueille d’abord des informations, qui viennent non seulement de l’environnement extérieur, à travers les différents sens, mais aussi de l’intérieur du corps.

Le traitement de cette information sensorielle s’effectue d’avant en arrière, par exemple de l’œil à l’arrière du cerveau, à l’occiput. Ces informations, enregistrées par la partie postérieure du cerveau, sont analysées de manière à leur donner un sens : par exemple, les signaux visuels venus d’un visage vont permettre sa reconnaissance : tiens, voilà mon ami Laurent !

Ensuite, l’information repart d’arrière en avant, pour apporter la réponse du cerveau aux informations enregistrées. Cette réponse, sous forme de réflexion, d’action, de communication, est le privilège, pour l’essentiel, des lobes frontaux. Comme leur nom l’indique, ces lobes frontaux constituent la partie la plus antérieure et la plus élaborée du cerveau, derrière l’os frontal.

Mais, car il y a un mais, avant d’arriver aux lobes frontaux, siège de l’exercice de la raison et de l’action, les circuits qui y conduisent vont obligatoirement passer, d’abord, par les structures de l’émotion.

Au début de la médiation, les parties sont en situation d’opposition. Et il est essentiel qu’elles puissent « vider leur sac. » La résonance magnétique fonctionnelle (IRM f) a montré que cette explosion émotionnelle, issue du cerveau reptilien, subconscient, précède nécessairement le passage à un dialogue constructif, à l’exercice réciproque de la raison, affaire du lobe frontal, rationnel et conscient.

Ainsi parvient-on, dans l’échange facilité par le médiateur, à une forme d’accord ou, à tout le moins, à la reprise du dialogue entre les parties. «Vider son sac» implique le sympathique avant de raisonner (parasympathique).

Personnes médiées

L’empathie, un ressort essentiel

C’est la «capacité à percevoir les pensées de lautre et les intérioriser pour jeter les bases dune relation.»

L’empathie n’est pas la sympathie, contagion émotionnelle et réaction de court terme; l’empathie nécessite, au contraire, distance et réponse de long terme. L’empathie est une cognition plus qu’une émotion : elle correspond à une hyperactivité pré-frontale (siège de la raison) et, dans le même temps, à une hypoactivité amygdalienne (siège de l’émotion) (J. Decety). C’est un processus en partie inné, mais surtout une volonté et un apprentissage. Les neurones miroir (Rizzolatti) jouent un rôle dans l’empathie, de même que le cortisol et l’ocytocine, hormones du bien-être.

Dans ce monde frénétique, il s’agit de passer de la réponse immédiate, privilégiée par l’usage dles objets connectés, au recul nécessaire à la réflexion et à l’empathie, bref du temps court au temps long et de l’égocentrisme au partage, de la défiance à la confiance.

En médiation, cela se traduit par la neutralité bienveillante, l’écoute active, l’attention diffuse, l’auto-régulation des émotions, la synchronisation verbale(reformulation) et non verbale, la patience, l’excuse et le pardon.

Préjugé et écoute active

« Le préjugé… tient notre cervelle à bonne distance de notre faculté de penser.» (JF.Revel). Il correspond à une réponse rapide issue des noyaux gris centraux (cerveau reptilien) et s’exprime, par exemple, dans les convictions inébranlables, qui animent souvent les médiés…comme certains politiques.

A l’inverse, en médiation, l’écoute active (tronc cérébral) et l’attention diffuse (lobe pariétal) suscitent la maîtrise du lobe frontal et le temps long de la réflexion…mais aussi le silence, la parole apaisée. Elles facilitent ainsi la prise de conscience des préjugés et leur maîtrise.

Accord dans le cadre d'une médiation

Le point de bascule

C’est ce passage du stress et de l’émotion initiale (sécrétion de noradrénaline) à l’épuisement, à la détente et à l’exercice secondaire de la raison (ocytocine).

En médiation, « il donne la chair de poule » (Savigny). Il est caractérisé par « la soudaineté, la contagion, lampleur des conséquences » (Caldwell). Il ne faut pas le laisser passer, être attentif au mot juste, le pointer, reformuler.

C’est ce frère d’un résident en EHPAD qui, épuisé d’avoir insulté le directeur, lâche «j’ai peut-être été trop loin… » ou cette employé, émue par les excuses de son employeur, qui propose une indemnisation : « cela me suffit ! » (Brenneur).

L'équilibre en médiation

L’équilibre des contraires

Le cosmos (la nuit et le jour, les marées), comme le corps humain (le rythme cardiaque, accéléré par le nerf sympathique, ralenti par le parasympathique) nous montre que l’équilibre du corps humain- l’homéostasie – n’est pas « un long fleuve tranquille », mais naît de l’exercice de forces contraires.

Le cerveau ne manque pas à cette règle. Ainsi, au sein du lobe pré-frontal, la convexité est le siège de l’élan, de la créativité, tandis que la région interne, orbito-frontale est celle de la maîtrise et de la résistance et de la contrainte (L.Cohen). Le mathématicien C. Villani ajoute « Pas de créativité sans contrainte ! » 

En médiation, silence, impartialité, maîtrise de la forme n’excluent pas, à d’autres moments, spontanéité, relâchement, intuition, agilité.

Préparation mentale

Et le corps dans tout ça

La santé du corps est essentielle à l’esprit et un facteur de longévité et de qualité de vie (Colantonio).

En médiation, une préparation physique et mentale est bénéfique : bon sommeil, repas léger, activité physique, yoga, méditation réduisent le stress du médiateur, qui communique sa sérénité aux médiés, par sa présence, sa patience, un regard, un sourire, une voix, un geste d’accueil…les silences, les pauses.

Auteur : Jean-Luc Truelle

Professeur honoraire de neurologie, ancien chef de service de l’hôpital Foch, expert honoraire à la Cour d’Appel de Versailles, médiateur et formateur en médiation et santé, ancien expert de l’OMS et attaché au CNRS.